Le déclin du royaume Orange
France Football | 23 octobre 2001| N° 2898 | 12F
MALAISE. Une équipe nationale éliminée de la Coupe du Monde, des clubs médiocres en Coupes d'Europe, un Championnat qui végète Trois fortes personnalités, Danny Blind, entraîneur des 17 ans de l'Ajax, Ronald Koeman, entraîneur de Vitesse Arnhem, et le belge Erik Gerets, coach du PSV Eindhoven, analysent le mal qui ronge le football au pays Orange.
Par CHRISTOPHE LARCHER , aux Pays-Bas
DANNY BLIND, L'HERITIER DE LA TRADITION AJAX.
Le regard se porte sur sa gauche, le doigt pointe le vaisseau spatial
posé à une moitié de kilomètre. " C'est
leur but, leur but ultime ! Ce stade est comme une lumière qui
doit décupler leurs forces. Sans conteste, le positionnement
de l'ArenA est un gros atout pour moi. " L'eau pétille dans
son verre. Seize heures, Danny Blind rentre de l'entraînement.
Dans un coin de la vaste salle, fonctionnelle et accueillante, les 17
ans de l'Ajax engloutissent un plat chaud, riz à volonté.
L'ancien capitaine des Amsterdamois* les dirige depuis l'été
2000. Chaque jour, sur un terrain du centre de formation, le quadra
à l'air juvénile prolonge la tradition à deux pas
de l'enceinte futuriste du club. " Un jeune de mon groupe doit
rejoindre l'effectif pro tous les ans. " Le dernier en date se
nomme Johnny Heitinga, encore mineur, titulaire la veille devant NAC
Nimègue (5-0). Chez les grands, il a rejoint Rafael van der Vaart,
réel espoir promu la saison précédente.
A l'Ajax Amsterdam, les jeunes ont toujours leur chance. Ce mercredi
10 octobre, face à NEC, la moyenne d'âge sans le gardien
vétéran Fred Grim affiche 21,4 ans. Peu importe, les Rouge
et Blanc mènent la danse en championnat, une nouveauté
après trois années épineuses. Pourtant cette classe
montante au talent indéniable n'a rien de commun avec la bande
Davids-Seedorf-Kluivert du milieu de la décennie précédente.
Avec Frank Rijkaard, Jari Litmanen et les frères De Boer, Danny
Blind encadrait ces précoces surdoués en mai 1995 lors
de la victoire en Ligue des Champions devant le Milan AC, dernier titre
de gloire du football batave. " Trois garçons de cette trempe
qui éclate en même temps, plus Reiziger et Bogarde, ça
n'arrive pas tous les ans. " La coupable élimination face
au Celtic Glasgow lors du tour préliminaire de la Ligue des Champions
2001 rappelle que, six ans plus tard, le club d'Amsterdam navigue bien
loin du sommet européen. Et avec lui l'ensemble du football orange.
L'ultime et terrible ricochet du marasme qui atteint les descendants
de Cruijff, Van Basten et Bergkamp remonte au 1er septembre. Sur l'herbe
grasse de Lansdowne Road, la sélection nationale s'incline 1-0
devant l'Eire réduite à dix et se prive de Coupe du Monde.
Pluie d'occasions ratées, incohérences tactiques, individualisme
forcené, refus de mea culpa de Louis Van Gaal, le cataclysme
est d'autant plus incompréhensible que, de Manchester à
Turin via Barcelone ou Londres, les Van Nistelrooy, Davids, Kluivert
et autres Bergkamp rayonnent toute l'année en club. Danny Blind
a vécu la tragédie devant son téléviseur.
" Cette élimination prive notre football d'une publicité
qui l'aurait aidé à se relancer. Ce manque sera forcément
préjudiciable pour l'avenir. Les rentrées financières
seront aussi moindres car les sponsors vont investir ailleurs. Sur un
plan sportif, la jeune garde va être privée d'une expérience
irremplaçable. Vivre l'intensité du Coupe du Monde est
capital dans la progression d'une carrière. Enfin, les gamins
néerlandais ne connaîtront pas l'excitation de suivre les
Orange à la télé. " Ancien relais de Louis
van Gaal sur le terrain, l'ex-libero de l'Ajax n'accable pas le sélectionneur
toujours en place. La presse s'en est déjà chargée.
Esprit de corps oblige, des techniciens de première Division
tels Ronald Koeman (Vitesse Arnhem), Erik Gerets (PSV Eindhoven) et
Henk van Stee (AZ'67 Alkmaar) suggère même de maintenir
à son poste ce personnage controversé.
Pour l'heure, Danny Blind a d'autres soucis que la destinée de
l'équipe nationale. En charge du dernier maillon de la formation
de l'école de l'Ajax, il mesure en direct la réalité
du football néerlandais en marche. Comme tant d 'éducateurs
avant lui, Danny Blind perpétue la vision Ajax du jeu résumée
en quatre lettres : TIPS. " T " pour technique, " I "
pour inzicht (lecture du jeu), " P " pour personnalité
et " S " pour speed (vitesse). " Ces principes
sont intangibles dans le temps. Simplement, en 2001, le " P "
prend davantage de poids dans la réussite d'un jeune, objet désormais
de tentations incessantes. A dix-sept ans, certains se voient forts
et veulent gagner beaucoup, posséder une belle voiture. Leurs
agents les poussent à ce sens. Le phénomène s'étend
et affaiblit les jeunes. " Riche de dix-neuf saisons d'élite
dont treize à l'Ajax, Danny Blind lutte par la transmission de
son expérience, en soudant les rapports humains, en alertant
l'entourage. Un apprenti à quand même rejoint la Juventus,
deux autres ont opté pour Ipswich Town. " Même si
la grande majorité des parents souhaite que leur enfant se développe
dans un environnement familier, l'Ajax doit prendre garde à ne
pas devenir un supermarché de certains clubs étrangers."
Rien de désespéré dans les propos de Danny Blind,
simplement la préoccupation de ne pas voir l'éclosion
de talents potentiels parasitée par un environnement malsain.
Lui reviennent à l'esprit la boulimie et l'innocence de Patrick
Kluivert, révélation 1995. " Quand il a intégré
l'équipe, il se moquait bien de l'argent. Il voulait juste réaliser
son rêve d'enfance : s'entraîner tous les jours avec les
pros de l'Ajax. Il était bien encadré et il a marqué
en finale de la Ligue des champions. Aujourd'hui, les ados reçoivent
des offres d'Arsenal ou de Barcelone, signent de gros contrats et perdent
la motivation. Or, à dix-huit ans, le mieux est de jouer chaque
semaine plutôt que de s'ennuyer sur le banc d'un gros club anglais
ou italien. "
Longtemps référence absolue en matière de formation,
l'Ajax Amsterdam garde un fort pouvoir attractif sur la jeunesse batave,
mais en découd désormais avec d'autres clubs désormais
très actifs. Le Feyenoord Rotterdam alimente ainsi largement
les sélections de jeunes. Danny Blind mesure l'état de
la concurrence. Comme toujours, la condition de la réussite passe
par l'extrême jeunesse. " Pour un jeune Néerlandais,
mais aussi Danois ou Yougoslave, il est judicieux de venir à
l'Ajax ou dans un bon club de notre Championnat, d'y passer trois ou
quatre saisons avant de s'exiler vers un club majeur. Chez nous, il
pourra se construire dans la sérénité. C'est un
superbe investissement pour une future carrière. De plus, le
salaire n'est pas ridicule. Et qu'irait faire Cristian Chivu aujourd'hui
à l'Inter ? " A vingt et un ans, l'élégant
roumain commande aujourd'hui la défense de l'Ajax. Autour de
lui, une ribambelle d'émigrés doués de tous horizons
: le Ghanéen Abubakari Yakubu (dix-neuf ans), le Finlandais Petri
Pasanen (vingt et un ans), Le Suédois Zlatan Ibrahimovic (vingt
ans), tous titulaires, et aussi un Egyptien, un Colombien, un Brésilien,
un Nigérian
Combien de temps ces précoces élites patienteront-elles
avant de courir la gloire et les dollars ? Deux ans, trois ans maximum,
selon Danny Blind qui maudit chaque jour l'arrêt Bosman et, ses
méfaits sur des contrées à l'échelle des
Pays-Bas. " L'Ajax, comme les autres clubs néerlandais n'a
plus le temps d 'acquérir une maturité européenne.
Comme il lui faut vendre ses espoirs avant le terme de leur contrat
pour recevoir une indemnité, l'entraîneur travaille à
court terme. Comment retenir un garçon de vingt et un an si un
club anglais lui propose un fixe net de 600000F par mois ? " (NDLR
: le double d'un gros salaire dans le championnat Batave). Déjà
après le triomphe de 1995, la vague des Surinamiens (Seedorf
et compagnie
) avait migré sans délai à travers
l'Europe, vite suivie par Kanu, Overmars et les frères De Boer.
Danny Blind sait qu 'en 2002, il devrait prendre en main une solide
formation néerlandaise. Deux ou trois saisons pour peaufiner
son apprentissage et, sauf accident, les commandes de l'Ajax lui sont
destinées. D'où son émotion de fiable serviteur
confronté au déclin du Championnat national et à
la politique unilatérale de l'UEFA. " La situation est tragique
car l'écart entre les petits pays et les quatre grands d'Europe
croît d'année en année. Non seulement nous percevons
nettement moins de droits télé et de sponsoring, mais
surtout, le charme de la Coupe d'Europe s'est quasiment évanoui.
Avant, Bröndby, pouvait éliminer la Roma et Rosenborg sortir
le Real. Encouragée par l'UEFA, la formule actuelle appauvrit
les plus pauvres et enrichit les mieux dotés. Certes Amsterdam
est une cité prospère ; certes l'Ajax a de bons sponsors,
mais rien de comparable avec Manchester, Milan ou Madrid. C'est la loi
du marché et elle touche de nombreux pays. Où sont Benfica
et Anderlecht ? Peuvent-ils remporter le Ligue des Champions ? La France
aussi est concernée. Il faut s'interroger sur cette dérive
car l'Europe du football a besoin de l'Ajax, de Benfica et de Bröndby.
" Cette litanie des maux qui grignotent les atours d'un club glorieux
et d'un (ex-)grand pays de ballon risque de cantonner les amoureux du
" jeu à la hollandaise " dans une nostalgie sans retour.
Danny Blind, lui, malgré son analyse pessimiste, entend bien
résister. " Il est peu opportun de comparer Cruijff-Neeskens-Keiser
qui fut suivie d'un grand vide. A la fin des années 80, ce fut
le tour de Van Basten et Rijkaard. Encore un trou et ont éclaté
les Davids, Overmars, Kluivert. Cette succession de hauts et de bas
résume l'histoire de notre football. Nous sommes un petit pays,
et il est déjà incroyable de disposer d'un tel palmarès
international. Ces dernières années, le niveau moyen du
championnat a baissé, mais une génération d'exception
peut encore apparaître malgré les circonstances moins favorables.
" Alors, vu de l'extérieur, e stade de l'ArenA ne serait
plus cet immonde projet architectural boursouflé d'immeubles
de bureaux vitrés, de supermarchés en tout genre et d'une
salle de concert d'un nom de bière. Ce serait le cocon des exploits
d'une équipe en rouge et blanc à la légende ravivée.
ERIK GERETS FAIT DE LA RESISTANCE AU PSV.
A peine revenu aux Pays-Bas, le barbu belge a conquis d'emblée deux titres de champion, ceux des crus 200 et 2001. En neuf saisons
au club (joueur de 1985 à 1992, coach depuis 1999), Erik Gerets**
collectionne pas moins de douze trophées avec le PSV Eindhoven.
Depuis quinze an, le Championnat batave est son jardin. Aujourd'hui
il ne s'impose plus par sa défense hargneuse et ses montées
rageuses, mais toujours par sa qualité de meneur d'hommes. Il
y a ajouté un sens de l'organisation qui a replacé le
PSV au sommet de la hiérarchie batave. La faute à une
entame passable, la saison en cours se présente moins bien, mais
une place finale dans les trois premiers reste un objectif sérieux.
A le voir s'activer ce soir d'octobre sur la touche du désuet
stade Der Hout d'Alkmaar, Erik Gerets conserve toute sa rage. Ses hommes
peinent à égaliser, alors il les remonte, les replace.
Enfin, le but arrive. " Bon sang, nous avons eu au moins six occasions
franches dans la première et pas un but. Sur ce match, Van Nistelrooy
nous manque. " Le grand Ruud n'est plus là. Depuis quelques
semaines déjà, il s'impose au centre de l'attaque de Manchester
United, club le plus fortuné de la planète, triplant au
moins son salaire au passage. Malgré son sponsor, la multinationale
Philips, le PSV Eindhoven n'a pas les ressources financières
pour " bloquer " ses éléments d'élite.
Dans un passé récent, Philip Cocu, Jaap Stam, Boudewijn
Zenden et Arthur Numan avait pris la même voie de sortie. Le Feyenoord
Rotterdam, lui aussi, n'a pas pu conserver le Polonais Jurek Dudek,
le meilleur gardien du pays, parti en Septembre à Liverpool.
L'argent, le contexte, l'enjeu sportif, tout est mieux ailleurs, forcément.
Le voyage en sens inverse, lui, en revanche, n'est pas prévu
au catalogue. Erik Gerets s'en aperçoit à chaque intersaison.
" En 2000, j'ai voulu acheter Tore Andre Flo. Impossible, bien
trop cher pour nous ! Les Glasgow Rangers, eux, possédaient les
arguments. " Faute d'un avant-centre éprouvé au haut
niveau avec Chelsea et la Norvège, le Belge s'est reporté
sur Mateja Kezman, alors vingt et un ans, venu tout droit du Partizan
Belgrade. Auteur de 24 buts au cours du Championnat passé, le
Yougoslave présente la panoplie complète de l'excellent
attaquant, vif et déterminé. Il donnera sa pleine mesure
dans trois ou quatre ans, à coups sûr pas sous le maillot
du PSV. " On nous pique tous nos joueurs. Chaque année,
il faut boucher les trous, sauf qu'un club néerlandais ne peut
pas se payer un international renommé. Sur le marché européen,
nous devons nous contenter du troisième choix. " (Gerets)
Alors l'entraîneur du PSV, comme ses collègues du Championnat,
se rabat sur des étrangers en devenir venus de partout se bâtir
une réputation et doit rajeunir son effectif à l'excès.
Outre Kezman, le groupe compte deux Danois, un Ghanéen, un Brésilien,
tous âgés de dix-neuf à vingt-trois ans. Bien sûr,
aucun d'entre eux n'a le profil de Romario et de Ronaldo, mûris
à l'époque dans la couveuse du PSV. Dans la même
tranche d'âge, le club possède aussi et surtout une grosse
poignée de Néerlandais, candidats désignés
de la sélection. Comme Eindhoven n'a pas une vocation formatrice
comme l'Ajax, cette relève provient de petits clubs de la KPNEredivisie
(Première Division). Ainsi, cet été, l'avant-centre
Jan Vennegoor of Hesselink a rejoint son ex-coéquipier du FC
Twente Arnold Bruggink. Surtout, les deux plus sérieux espoirs
bataves encore au pays, Mark Van Bommel et Kevin Hofland, sont issus
du Fortuna Sittard. Le premier, milieu de terrain, comme le second,
défenseur axial, doivent représenter l'horizon du PSV,
mais Erik Gerets sait déjà que cette projection est irréalisable.
" Van Bommel aura vingt-cinq ans au printemps prochain et va certainement
nous quitter car les offres ne manquent pas. Quant à Hofland,
vingt-deux ans, comme il est très bien dans sa peau chez nous,
je compte le garder un an ou deux, mais Manchester United le convoite
ardemment. "
Ces Van Bommel, Hofland et Vennegor sont-ils les Davids, Stam et Kluivert
de demain ? Certainement pas. Ou alors les traces du talent supérieur
ne sont pas encore décelables. Indirectement, Erik Gerets confirme
l'affaissement général du Championnat des Pays-Bas. "
Les nouvelles générations sont moins développées
que les précédentes car elles s'exilent trop vites. De
fait, la compétition est moins relevée et le football
de ce pays n'a plus le même rayonnement qu'il y a dix ou quinze
ans. Tous les clubs déploient beaucoup d'énergie, mais
je prévoie encore une aggravation. Même l'Ajax n'arrive
plus à sortir des jeunes de très grands talents. "
Présent chaque année en Ligue des Champions depuis 1997,
le PSV Eindhoven n'a jamais franche le premier tour de la compétition.
Sur la période, un seul club néerlandais (Feyenoord) y
est parvenu, soit un cas sur dix. Terrible constat qui place les Pays-Bas
aux antipodes de son bilan des décennies écoulées.
De 1970 à 1995, L'Ajax, Feyenoord et le PSV ont rapporté
dix Coupes d'Europe à la nation Orange. Aujourd'hui, le pays
de Johan Cruijff, dépassé par la Grèce, n'occupe
plus que le septième rang au classement de l'indice UEFA. Et
la Turquie et la Russie menacent. Sauf retournement express de tendance,
les Pays-Bas perdront donc un siège en Ligue des Champions 200-04.
" C'est catastrophe ! ". Erik Gerets ne peut dissimuler les
évidences. Mais clamant son plaisir permanent d'uvrer en
toute liberté au PSV, le Belge refuse de tomber dans le catastrophisme
trop facile. " C'est comme pour l'équipe nationale ! Certes,
elle a manqué d'énergie dans les moments d'urgence. Trop
d'occasions de but ont été loupées pour aller à
la Coupe du Monde. C'est sûrement incroyable, mais les Hofland
et les Van Bommel arrivent. Et puis, Davids, Kluivert, Van Nistelrooy
et les autres sont encore tellement jeunes. Il ne faut pas paniquer
! ".
RONALD KOEMAN RECLAME LE RETOUR DES CONQUERANTS.
Comme chaque dernier entraînement avant une journée
de Championnat, Ronald Koeman*** tire quelques coups francs. Le surlendemain,
son club son club de Vitesse Arnhem se déplace à Nimègue
; alors il ne déroge pas au rite. Sa frappe cou-du-pied n'a plus
cette force démentielle qui offrit la Coupe des Champions au
FC Barcelone en 1992, mais peu de joueurs se pressent pour former le
mur. La silhouette s'est arrondie, mais le cou et les cuisses sont toujours
aussi massifs. Adjoint de Guss Hiddink avec l'équipe nationale
puis de Louis Van Gaal à Barcelone, l'ex-international, trente-huit
ans, officie à Arnhem depuis le 1er Janvier 2000. " Je voulais
être mon propre boss. J'ai saisi l'opportunité. Vitesse
représentait une bonne entrée en matière dans la
profession d'entraîneur. " Le temps de saisir qu'il ne s'adressait
plus à Rivaldo, Figo et Guardiola, le frappeur blond a stabilisé
l'équipe dans le 1er tiers du classement et compte la mêler
à la lutte pour le podium cette saison. Le budget est contrôlé,
l'effectif juste bon, mais, au moins, Vitesse dispose avec le Gelredome
d'un stade à la pointe de la technologie, doté d'un toit
amovible et d'une pelouse coulissante. Après six ans d'odyssée
barcelonaise, Ronald Koeman a repiqué à son Championnat
d'origine sous le maillot de Feyenoord (1995-97). Déjà,
il avait remarqué un affaissement du niveau d'ensemble. "
Depuis, ça continue de baisser, et c'est facile à comprendre.
A la fin des années 80, seuls Gullit, Van Basten, et Rijkaard
évoluaient à l'étranger. Je fus le quatrième
international à émigrer. Aujourd'hui, tout le monde quitte
le pays, même les joueurs moyens. " La réalité
économique affecte encore davantage le club de Vitesse que l'Ajax,
le PSVet le Feyenoord, les trois clubs phares néerlandais. Dans
ce domaine, le coach d'Arnhem ne peut intervenir. En revanche, il s'attache,
jour après jour, à soigner le mal qui s'étend chez
ses compatriotes footballeurs. Il en a saisi l'étendue dès
ses premiers matchs sur le banc. " Il manque cette agressivité
totale et cette volonté de gagner à tout prix. Les joueurs
pâtissent d'une mentalité trop friable et d'un esprit de
compétition érodé. Je le remarque dans mon club
mais pas seulement. "
L'analyse concerne les engagés en Coupes d'Europe et, indirectement,
la sélection nationale, mais aussi les équipes de jeunes
du pays qui n'effraient plus grand monde en Europe. " Ces futurs
professionnels ont de réelles aptitudes techniques, mais, dans
les rencontres à enjeux, ils sont trop facilement battus. "
L'exemple venant toujours de l'élite, Ronald Koeman admet que
la défaite des Orange de Louis Van Gaal à Dublin, ôtant
toute chance d'accrocher un ticket pour la Coupe du Monde, ne risque
pas de pousser la relève à plus d'esprit de corps. "
Il faut bien se dire que nos vedettes n'ont pas su battre une équipe
d'acharnés dotée d'un seul joueur fort, Roy Keane. "
A l'évidence, disséminés du nord au sud de l'Europe,
les piliers de la sélection, hommes forts de leurs clubs respectifs,
avides d'exploits personnels, peinent à se dévouer à
la cause nationale. Une fois réunis, ces caractères virent
souvent au caractériel au détriment de l'osmose patriotique.
Et aucun des récents sélectionneurs (Hiddink, Rijkaard,
Van Gaal) n'a su tisser les liens de l'union sacrée. Vainqueur
de l'Euro 88 au sein d'une équipe de référence,
Ronald Koeman se penche sur ce précédent glorieux pour
fixer l'exemple à suivre. Moins de mélancolie dans ses
propos, l'homme est trop jeune pour y succomber, juste l'occasion de
renseigner et de rapprocher les époques.
Cette année là, sous les directives de Rinus Michels,
cabochards, artistes, serviteurs et remplaçant ont dispensé
de prestations mémorables. Pourtant, il fallait que coexistent
Hans van Breukelen, Ruud Gullit, Marco Van Basten, Gerald Vanenburg,
Jan Wouters, Frank Rijkaard, etc. " Vu les personnalités
en présence, ce n'était pas rose tous les jours, mais
nous étions des vainqueurs dans l'âme. Au final, nous avons
été récompensés. " Avec une once de
cette détermination qui arrache les victoires, ces compatriotes
n'auraient pas chuté systématiquement lors des séances
de tirs au buts en demi-finale des Euros 1992 et 2000, en demi-finales
1998, en quarts de finale de l'Euro 96. Une telle insistance ne doit
rien à la malchance.
Ronald Koeman se félicite que, progressivement, des membres de
la génération victorieuse de 1988, réapparaissent
sur le devant de la scène du Championnat des Pays-Bas. Outre
lui-même avec Vitesse Arnheim, Frank Rijkaard entreprend de relancer
le Sparta Rotterdam, alors que John Van't Schip officie au FC Twente.
Quant à son frère, Erwin Koeman et Adri Van Tiggelen,
ils exercent comme adjoints au PSV et à Willem II. Enfin, Danny
Blind, non présent à l'Euro 88 mais leader respecté,
poursuit une logique similaire à l'Ajax. Ronald Koeman : "
Nous sommes là pour communiquer à nos successeurs sur
le terrain tout notre acquis sportif et psychologique. Nous devons aussi
tous ensemble mener une profonde analyse sur la situation de notre sport,
se poser les questions essentielles. Il faut que les Pays-Bas et son
football redeviennent conquérants. " Compte tenu du contexte
culturel et des réalités économiques, vu l'infini
étendue du labeur, l'ex-terreur des coups francs ne devront pas
manquer de courage et de soutiens.
* Danny Blind : 5 Championnats des Pays-Bas,
5 Coupes des Pays-Bas, 1 coupe de l'UEFA, 1 Ligue des Champions, 35
sélections.
** Erik Gerets : 2 Championnats de Belgique, 6 Championnats
des Pays-Bas, 1 Coupe de Belgique, 3 Coupes des Pays-Bas, 1 Coupe d'Europe
des Clubs Champions, 86 sélections. 2 Championnats de Belgique,
2 championnats des Pays-Bas comme entraîneur.
*** Ronald Koeman : 4 Championnats des Pays-Bas, 4
Championnats d'Espagne, 3 Coupes des Pays-Bas, 1 Coupe d'Espagne, 2
Coupes d'Europe des Clubs Champions, Euro 88, 78 sélections.
Sprengers : "Pas de panique"
ACTION. Pour Mathieu Sprengers, président de la Fédération néerlandaise, le redressement du football batave passe par la formation, le remodelage des Coupes d'Europe et la confiance maintenue à Van Gaal.
"Le football néerlandais
connaît des jours difficiles sur la scène internationale.
S'agit-il d'une mauvaise passe ou alors d'une crise plus profonde ?
Que les Pays-Bas n'aillent pas à la Coupe du Monde représente
un préjudice significatif pour notre football. C'est même
une réelle catastrophe. Mais, à mes yeux, ce dommage n'est
que temporaire car j'ai confiance en Louis van Gaal. Quant aux Coupes
d'Europe, nos clubs doivent tous faire pour que les Pays-Bas conservent
la sixième place à l'indice UEFA (NDLR : aujourd'hui
menacée par la Grèce). C'est le travail prioritaire
à court terme.
Quelles mesures la Fédération
prend-elle pour redresser la situation ?
La solution d'avenir ne peut venir que par la jeunesse. C'est pourquoi
nous nous efforçons d'améliorer encore le développement
de la formation. Un large plan d'action a été lancé
et devrait donner ses premiers résultats dans les années
à venir. Par ailleurs, le sélectionneur national Louis
Van Gaal et son staff doivent mener une évaluation détaillée
à propos du football néerlandais e suggérer les
améliorations nécessaires. Les Pays-Bas ne seront pas
présents à la Coupe du Monde mais ce n'est pas une raison
de paniquer.
L'inquiétude n'est-elle
pas néanmoins légitime ?
Je ne suis pas pessimiste car nous disposons toujours de joueurs talentueux
qui peuvent se signaler de nouveau prochainement. Notre sélection
a joué la demi-finale de l'Euro 2000 et son niveau ne s'est quand
même pas effondré depuis, même si elle a certainement
sous-estimé les adversaires de son groupe. Cette élimination
doit être considéré comme un accident et non comme
un marasme structurel. Je ne peux pas imaginer que les Pays-Bas perdent
le rang qu'ils occupent depuis vingt-cinq ans.
Louis van Gaal est toujours en
place ?
Un contrat nous unit jusqu'en 2006. Personnellement je considère
que c'est la bonne personne pour s'occuper de la sélection dans
les prochaines années. Une décision définitive
élaborée en commun sera prise en commun dans les prochaines
semaines au sujet de Louis Van Gaal (le 15 octobre, l'intéressé
a dit se donner un mois de réflexion avant de prolonger l'aventure).
Si les Pays-Bas ne se qualifient pas pour l'Euro 2004, alors il faudra
vraiment s'interroger sur le fondement de notre politique, mais je ne
crois pas en cette éventualité
Pour quelles raisons ?
Les talents individuels et le jeu " à la hollandaise "
sont toujours vivaces et opérationnels. En 1993, l'équipe
de France a laissé passer sa qualification. Cinq ans plus tard,
elle était championne du monde avant de remporter l'Euro. Aucune
situation n'est sans espoir à condition de tout mettre en uvre
pour arriver au succès. Le football néerlandais connaît
des moments difficiles, et, à travers une profonde analyse, il
devra en sortir plus fort qu'auparavant. C'est aujourd'hui le défi
qui l'attend.
Vous êtes membres du comité
exécutif de l'UEFA. Quel rôle cette instance doit-elle
jouer pour protéger les pays de la taille des Pays-Bas ?
Les dirigeants de l'UEFA sont très concernés par le fait
que, ces dernières années, en Europe, les plus gros pays
deviennent plus forts et les petits pays deviennent plus faibles. Les
Pays-Bas, la Belgique, l'Ecosse, le Portugal, la Suisse et l'Autriche
ne doivent pas s'affaiblir plus longtemps. C'est vraiment triste de
constater que des clubs néerlandais ou portugais ne peuvent plus
concurrencer des adversaires issus de la Liga ou de la Premier League.
C'est pourquoi nous réfléchissons à un remodelage
de la Ligue des Champions et de la Coupe UEFA, qui donnerait aux clubs
de ces pays davantage de chances de retrouver leur standing passé
et leur place dans l'élite européenne.
Mais comment ?
Il faut encore préciser les détails, mais cela passerait
par exemple, par une meilleure distribution des recettes de l'UEFA.
Toutefois, en sachant que ce sont les grands pays qui créent
le plus de richesse, les Pays-Bas ou la Belgique ne pourront jamais
bénéficier d'un traitement égal à celui
de l'Allemagne, par exemple. Il suffit de comparer l'importance des
droits télé. L'idée est de ramener l'écart
entre les deux familles de pays au niveau 1995-96, années où
l'arrêt Bosman a commencé à s'appliquer."