Koeman et Hiddink à la relance
France Football | 29 octobre 2002 | N° 2951 | 1,90€
PAYS-BAS Adversaires de Lyon et d’Auxerre en Ligue des champions, l’Ajax Amsterdam et le PSV Eindhoven sont au coude à coude en tête d'un Championnat qu'ils maîtrisent à nouveau. Du coup, ils retrouvent des ambitions sur la scène européenne. A la base de ce redressement, deux entraîneurs au palmarès prestigieux : Ronald Koeman et Guus Hiddink.
Ajax, Feyenoord et le PSV dans les poules de la Ligue des champions: c'est une première cette saison. En dix ans d'histoire, jamais la compétition phare de l'UEFA n'avait accueilli ensemble les trois grands clubs néerlandais. Il y a bien eu trois représentants des Pays-Bas au premier tour de l'édition 1999-2000 (La première avec huit poules de quatre), mais l’Ajax n'était pas de la fête ; c'est WillemII, club de Tilburg, qui accompagnait Feyenoord et le PSV cette saison-là. Depuis, le club d'Amsterdam avait été incapable de se hisser dans les poules de la Ligue des champions; la saison dernière, il avait été éliminé au tour préliminaire par le Celtic Glasgow. Cette fois-ci, l’Ajax s'est épargné les affres d'un barrage aussi aléatoire grâce à son titre de champion, qui lui assure une qualification directe pour les poules. Mais, à l'avenir, l'accès à la C 1 va être l'objet d'une bataille encore plus âpre entre les trois grands du Championnat néerlandais. Dépassés par la Grèce à l'indice UEFA (calculé selon les performances des clubs d'un même pays au cours des cinq dernières saisons), les Pays-Bas n'auront plus que deux billets pour la Ligue des champions 2002-03. Cet état de fait peut surprendre alors que Feyenoord a remporté la Coupe de l'UEF A, mais il est révélateur des difficultés des clubs bataves sur la scène européenne; seul Feyenoord a accédé au deuxième tour des poules de la Ligue des champions en 199-2000. Aussi, si les trois grands du Championnat néerlandais veulent éviter de se battre pour des strapontins au niveau continental, ils ont tout intérêt à relever leur niveau de performance dès cette saison. Pour cela, le PSV, qui s'est imposé 5-0 à Nimègue samedi, doit battre Auxerre ce mercredi à Eindhoven, et l'Ajax, tenu en échec (1-1) par RKC Waalwijk en Championnat, ne pas s'incliner à Lyon. L'apathie du marché des transferts et les difficultés économiques de nombreux clubs européens leur ont permis d'échapper cet été au pillage dont ils étaient régulièrement victimes depuis l'entrée en vigueur de l'arrêt Bosman (décembre 1995). Mais c'est surtout l'arrivée de deux entraîneurs de renom, Ronald Koeman à Amsterdam l'hiver dernier et Guus Hiddink à Eindhoven cet été, qui explique cette amorce de redressement. Voici le parcours comparé des deux techniciens.
Des trajectoires croisées.
Avant d'être directement en concurrence cette saison, Guus Hiddink et Ronald Koeman se sont déjà retrouvés côte à côte à deux reprises: au PSV entre 1986 et 1989, puis dans l'encadrement de la sélection néerlandaise de décembre 1997 jusqu'au Mondial 98. C'est Hiddink lui même qui avait fait appel à Koeman, fraîchement retraité, pour étoffer son staff dans la perspective de la Coupe du monde en France. Après, les deux hommes ont pris la direction de l'Espagne: Hiddink pour diriger le Real Madrid, alors champion d'Europe en titre, Koernan pour épauler son compatriote Louis van Gaal à Barcelone. En janvier 2000, Ronald a quitté la Catalogne pour rentrer aux Pays-Bas : espéré à Feyenoord (en quête d'un remplaçant au vieux Leo Beenhakker) pour la saison suivante, il a préféré se lancer dans la carrière d'entraîneur sans attendre au Vitesse Arnhem. En février 2000, Hiddink, qui n'avait tenu qu'une saison à Madrid, a repris le Betis Séville, dont il n'a pas pu empêcher la relégation. En janvier 2001, il a réalisé un grand bond vers l'Extrême-Orient pour devenir sélectionneur de la Corée du Sud, qu'il a, en dix-huit mois, métamorphosée en demi-finaliste de la Coupe du monde. Demeuré conseiller de la Fédération coréenne, Hiddink n'a pas voulu se retirer du terrain et il est revenu à Eindhoven, pour succéder au Belge Eric Gerets (qu'il avait eu sous ses ordres au PSV), qui n'avait pas réussi à enchaîner un troisième titre d'affilée. Entre-temps (en décembre 2001), Ronald Koeman avait quitté Arnhem pour Amsterdam et, en six mois à peine, il a conduit l'Ajax à son premier titre de champion depuis 1998. Les deux hommes auraient pu se retrouver face à face à l'occasion de la Supercoupe des Pays-Bas, au mois d'août, mais Guus Hiddink, qui avait reçu des menaces de mort, était à l'abri dans les tribunes ; c'est son adjoint, Erwin Koeman, qui avait pris place sur le banc. A défaut de l'un de ses modèles, Ronald s'est donc retrouvé face à... son frère.
Des méthodes comparables.
L'incontournable Johan Cruyff demeure le modèle favori de Ronald Koeman, qui a joué sous les ordres du triple Ballon d'Or de France Football durant ses longues années barcelonaises. Mais deux autres entraîneurs ont inspiré le credo technique de l'actuel boss de l'Ajax : Louis van Gaal, dont il fut l'adjoint au Barça, et... Guus Hiddink, évidemment. Si Ronald a beaucoup appris quant à l'organisation de la vie d'un groupe au contact de Van Gaal, il se sent plutôt proche de Hid-dink en ce qui concerne le relationnel avec les joueurs. Très vite, l'ancien libero des Orange s'est retrouvé confronté à ce problème, essentiel dans la façon d'agir d'un entraîneur. «Quand je suis devenu adjoint de Guus Hiddink, avant le Mondial 98, j'étais nerveux sur le terrain d'entraînement, confiait Koeman. Certains de mes anciens coéquipiers l'avaient remarqué. Mais tout s'est progressivement mis en place. » Et, dans ce délicat passage de l'autre côté de la barrière, Ronald a pu compter sur le soutien de Guus. Car être leader sur le terrain et le devenir depuis le banc ne requièrent pas le même genre de ressources. Louis van Gaa.l, lui, essaye de tout prévoir, jusqu'au moindre détail. Comme Cruyff, Hiddink et Koeman préfèrent s'appuyer sur les qualités des joueurs, sur leurs capacités d'adaptation aux circonstances. Pour cela, Ronald a l'avantage d'avoir été un joueur de très haut niveau. Malgré une carrière de joueur nettement moins en vue, Guus Hiddink a su rapidement s'imposer puisqu'il a été sacré champion d'Europe avec le PSV à l'âge de quarante et un ans. En résumé, Hiddink et Koeman composent là où Van Gaal impose.
Une philosophie de jeu identique.
Adieu le 4-3-3, vive le 4-4-2 ! Pour un peu, on pourrait classer Guus Hiddink et Ronald Koeman dans la catégorie des iconoclastes ! Le premier n'a pas hésité à abandonner le sacro-saint 4-3-3 des Pays-Bas lorsqu'il a été nommé sélectionneur (à la suite de Dick Advocaat) afin de rendre sa formation plus compétitive dans la perspective de l'Euro 96 (quarts de finale) et du Mondial 98 (demi-finales). Le second l'a imité dès son arrivée à Amsterdam, en décembre dernier, au risque de balayer d'un seul coup tout le travail de Co Adriaanse, ancien instituteur devenu théoricien du style de l’Ajax. En réalité, on retrouve dans les équipes qui évoluent sur le terrain un peu du caractère de leur entraîneur. A la différence de Van Gaal ou d'Adriaanse, Hiddink et Koeman ne sont pas des personnages dogmatiques. Ils sont plutôt pragmatiques. Ils n'essaient pas d'imposer un système de jeu à un effectif qui n'a pas les qualités pour. Ils préfèrent créer une animation en tenant compte des qualités (et des défauts) des uns et des autres. Les résultats qu'ils ont obtenus récemment en Corée du Sud comme à l'Ajax tendent à leur donner raison.
Deux destins en pointillés.
Tout auréolé de sa réussite asiatique, Guus Hiddink aurait pu, à cinquante-cinq ans, mettre un terme à sa carrière après le Mondial 2002. « Mais je voulais de nouveau entraîner un club, confie-t-il. J'aime être sur le terrain, voir comment une équipe parvient à apprendre jour après jour. Tant que ce travail m'apporte du plaisir, il n'y a pas de raisons d'arrêter. " Or le plaisir de Guus a été un peu gâché en début de saison, lorsqu'il a reçu une enveloppe avec deux balles de fusil dedans: une menace de mort qui a failli lui faire jeter l'éponge. A moins que ce ne soient les faiblesses de l'effectif du PSV... Depuis, Hiddink aurait reçu des engagements très clairs de la part du président du club d'Eindhoven, Harry van Raay, quant au prochain recrutement et il semble mieux disposé à honorer son contrat de deux ans. Pour Ronald Koeman, qui est entraîneur en chef depuis moins de trois ans, l'avenir apparaît d'autant plus ouvert qu'il s'est plutôt bien débrouillé jusqu'à présent. Sa formidable carrière de joueur et ses expériences d'adjoint de Guus Hiddink puis de Louis van Gaal lui ont, justement, permis d'éviter les pièges tendus aux débutants dans la carrière. A trente-neuf ans, Koeman a donc de belles perspectives devant lui : ne dit-on pas, déjà, qu'il sera le prochain entraîneur de Barcelone ?
XAVIER BARRET avec TIEMEN VAN DER LAAN